++ Festival Gnaoua et Musiques du Monde d'Essaouira - Edition 2004

Entretien avec Neïla Tazi, directrice et productrice du festival Gnaoua et Musiques du Monde d'Essaouira : «Il serait juste et mérité que cet événement bénéficie de soutien»

Depuis 7 ans, elle n'en finit pas de se battre –avec sa jeune équipe passionnée de rythmes et de musiques du monde- pour faire du festival des gnaoua d'Essaouira un événement musical, un espace de liberté et de métissage culturel. Neila Tazi parle volontiers de combat mais aussi d'une folle détermination à prouver que l'événement est tellement beau que les organisateurs continueront à se battre pour qu'il existe.

«Le festival ne peut pas dans le même temps être gratuit, être une source de revenus pour tous les opérateurs économiques de la ville et faire face au manque de ressources. Ce sont là trop de contraintes pour nous producteurs qui sommes préoccupés par la croissance du projet et la nécessité d'assurer sa pérennité», explique N. Tazi.

Du Jeudi 24 au dimanche 27 juin, Essaouira que les Inrockuptibles ont très tôt présenté comme le Woodstock marocain sera le généreux récipiendaire des musiques du monde, des crotales et du gambri aux trois cordes pincés. La directrice et productrice du festival le dit et le redit : «Ce qui fait la force du festival d'Essaouira, c'est qu'il est entièrement construit autour d'un patrimoine culturel marocain et qu'il fait donc partie de notre identité».

Le Matin : Jeudi, s'ouvre la 7ème édition du festival Gnaoua d'Essaouira. Si on vous demandait de faire le point par rapport à cet événement, qu'est-ce que vous diriez ?

Neïla Tazi : Ce festival démontre chaque année son potentiel artistique. C'est un événement qui au fil des années prend de plus en plus d'ampleur et c'est incontestablement un événement qui assoit sa notoriété au niveau international. Le festival Gnaoua d'Essaouira compte parmi les événements world music les plus importants dans le monde. Je peux le dire en toute modestie d'autant que dans le registre des musiques du monde il est unique en son genre. La fusion est une tendance actuelle, dans tous les domaines et pas seulement dans la musique. Je fais référence au métissage culturel, aux rencontres, à la notion de partage etc….

Avez-vous conscience de faire d'Essaouira, le temps d'un festival, une sorte de Woodstok ? Ou bien cela vous fait-il sourire ?

Au départ, on ne s'en rendait pas vraiment compte ; jusqu'au jour où on a commencé à lire cette comparaison dans la presse étrangère et particulièrement dans des titres spécialisés comme les " Inrockuptibles " qui présentaient le festival des Gnaoua comme le Woodstock marocain. Par la suite en constatant la croissance du nombre de festivaliers on a fini par réaliser que c'était effectivement un peu cela, un espace de liberté lié à la musique mais autour de valeurs marocaines.

Quel message vouliez-vous transmettre à la naissance de cet événement musical ? Un message de liberté ou juste un moment de bonheur procuré à travers des rythmes ?

Les deux. Ce qui nous a motivé dans un premier temps c'est d'abord une démarche strictement culturelle et artistique en plus de la volonté de créer un événement musical. Il est vrai qu'au fur et à mesure des éditions et au regard du nombre des gens qui font le déplacement pour venir au festival, au regard aussi de l'impact de ce festival au niveau de la jeunesse marocaine et des artistes marocains qui tout au long de l'année nous expriment leur soutien, on a alors commencé à aborder le festival comme un espace où on défend l'importance de la culture pour les jeunes générations.

On a réalisé que les jeunes au Maroc ont envie non seulement de faire la fête mais aussi d'exprimer leurs idées, leurs messages à travers leurs choix artistiques. Ils ont surtout envie de le faire autour de leur identité. D'autres festivals ont été créés, dans le même esprit qu'Essaouira. Ce qui fait la force du festival d'Essaouira, c'est qu'il est entièrement construit autour d'un patrimoine culturel marocain et qu'il fait donc partie de notre identité.

C'est ce qui fait aussi son impact à l'étranger car ce qui intéresse les médias et les visiteurs internationaux c'est justement un festival complètement construit autour d'une culture qu'ils ne connaissent pas.

Dans quelle mesure le festival des Gnaoua a-t-il contribué à la renaissance d'Essaouira ? Et est-ce que la ville le lui rend bien ?

C'est un événement toujours très attendu par la population d'Essaouira. Quand on se rend en ville, on voit bien que les gens sont très heureux et attendent le festival. Essaouira est une ville très accueillante et qui voit sa population quadrupler le temps de l'événement. Seule une ville très chaleureuse peut relever un tel défi.

Les Souiris sont des gens exceptionnels. Par rapport à nos interlocuteurs directs, c'est à dire les autorités, les hôteliers, les restaurateurs, nous arrivons d'une édition à l'autre à mettre en place un mode de collaboration de plus en plus efficace.

«Au bout de sept ans, il est temps de définir un cadre de travail» Cependant certains ne reconnaissent pas encore l'impact du festival ou ne cernent pas forcément l'ampleur et la difficulté de notre travail.

La ville d'Essaouira dispose d'un potentiel énorme en terme de développement par la culture, mais il ne faut pas oublier que c'est une Municipalité qui dispose de peu de moyens.

Nous avons du mal à construire une architecture intelligente en termes de synergie et d'apport des uns et des autres. Le festival ne peut pas dans le même temps être gratuit, être une source de revenus pour tous les opérateurs économiques de la ville et faire face au manque de ressources. Ce sont là trop de contraintes pour nous producteurs qui sommes préoccupés par la croissance du projet et la nécessité d'assurer sa pérennité.

Le festival d'Essaouira est gratuit parce qu'il est important que toute la population d'Essaouira puisse y assister ainsi que les jeunes. C'est un festival pour la ville d'abord et pour tous ceux qui veulent s'y rendre. Il est donc temps de trouver des solutions ensemble. Nous avons réussi jusqu'à présent grâce à la bonne volonté des uns et des autres, à notre persévérance et notre détermination à prouver que l'événement est tellement beau que nous continuerons à nous battre pour qu'il existe . Nous sommes fiers de ce projet et à aucun moment nous ne reculerons devant la difficulté.

Mais aujourd'hui cela fait 7 ans que nous nous battons. Il faut que cela change…Finalement quel est votre statut par rapport à l'organisation du festival Gnaoua d'Essaouira ?

C'est A3 communication qui fait le festival. Nous en sommes les organisateurs et les producteurs. Nous gérons la manifestation de A jusqu'à Z en étroite collaboration avec la ville d'Essaouira, ses représentants, les autorités locales et l'Association Essaouira Mogador. Nous travaillons ainsi depuis le premier jour. L'association œuvre depuis plus de 10 ans pour le développement et la promotion de la ville d'Essaouira et nous apporte un soutien important.

En tant que producteur du festival depuis 7 ans, nous sommes conscients aujourd'hui qu'il est nécessaire de définir un cadre de travail qui prenne en considération nos difficultés et l'ampleur de ce festival.

Tout le monde s'accorde à reconnaître que c'est une manifestation incontournable au vu de son impact sur les plans artistique, culturel, touristique et social. Les organisateurs et leurs partenaires ont largement fait leurs preuves. Il serait juste et mérité que ce festival bénéficie du soutien nécessaire pour qu'il continue d'exister dans de bonnes conditions. Le festival d'Essaouira Gnaoua et Musiques du monde connaît aujourd'hui un succès tel qu'il se doit de répondre aux attentes qualitatives d'un public national comme international de plus en plus exigeant.

Entretien réalisé par Narjis Rerhaye